« Depuis de nombreuses années, le MASC (Musée de l’Abbaye Sainte-Croix) aux Sables-d’Olonne poursuit une politique d’acquisition de peintures et d’échanges épistolaires de Gaston Chaissac, constituant ainsi la plus grande collection d’œuvres de l’artiste. L’année 2017 fut marquée par le legs de quatre-vingt-douze lettres, ainsi que de nombreux croquis, dessins, peintures, sculptures au musée par la famille de l’artiste. À cette occasion fut organisée l’exposition monographique Gaston Chaissac : chroniques, offrant une vue d’ensemble sur une trentaine d’années de production picturale. Le catalogue qui en découle est enrichi de nombreux détails sur les événements importants de la vie de l’artiste de son enfance à sa mort en 1964. Cette certaine exhaustivité biographique est mise en parallèle avec des écrits de critiques, des lettres adressées à divers artistes, galeristes ou encore à sa femme, dévoilant ses préoccupations artistiques, ses idées ainsi qu’une connaissance aiguë du milieu artistique parisien. « Peintre irréaliste » (p. 129), « bricoleur » (p. 359), « Picasso en sabot » (p. 125), « prince en casquette » (p. 341) forment un paysage de qualificatifs illustrant bien les différentes facettes de l’artiste. Se désignant lui-même comme un peintre « rustique moderne » (p. 89), « orfèvre en vieux cuir » (p. 264) ou encore « Gaston Chaissac le fumiste » (p. 128), il cultive la spontanéité, l’autodérision et les betteraves par opposition à ce qui représente pour lui le canevas d’une vie d’artiste normée, parfois académique tantôt concurrentielle. Ses lettres sont fournies de passage où celui-ci se défend avec « un humour triste et sans illusion » (p. 313) de ce que l’on peut dire de lui : « C’est à tort qu’on a dit que j’étais un autodidacte, car je me suis mis à peindre des tableaux qu’on peut faire sans apprentissage » (p. 128). Cette recherche constante d’un geste primordial apparaît autant être une recherche esthétique qu’une invitation aux spectateurs à la pratique des arts. Dans une lettre à Otto Freundlich écrite aux alentours de 1939, Gaston Chaissac, en parlant d’un camarade de sanatorium venu travailler la peinture chez lui, écrira : « Il y a quelque chose de commun en nous, mêmes origines même rêve brisé. Souvent, il ne peut pas peindre faute de matériaux » (p. 32). Comme celui-ci, de nombreux passages illustrent les déceptions et les difficultés de l’artiste à mener ses activités de poète, de peintre, d’épistolier, de jardinier, sans compromis. Le critique Jean-Jacques Levêque, à la mort de l’artiste, aura sans doute bien compris ce qui se cache derrière les expressions joyeuses et parfois inquiètes des visages omniprésents dans l’œuvre de Gaston Chaissac : « S’il ne témoigne pas des caractères particuliers de notre temps (néon, vitesse, cosmonautes, police, tyrannie) il témoigne d’une quête précieuse entre toute et qui n’a pas d’âge: celle du Paradis perdu » (p. 351). »
Pierre-Alexandre Clouard, revue Critique d’art