« Pour les nostalgiques d’un temps où l’abstraction était toujours une force révolutionnaire dans l’art moderne, ce grand catalogue sur l’œuvre picturale de René Laubiès (1924, Cholonville, Indochine-2006, Mangalore, Inde) sera une surprise très appréciée. La publication fut supervisée par la commissaire de l’exposition, Gaëlle Rageot-Deshayes, qui eut lieu au MASC (musée d’art moderne et contemporain des Sables-d’Olonne) de février à mai 2019. L’ouvrage offre dans un premier temps un bref aperçu sur la personne de René Laubiès (« L’Insaisissable » p. 5), puis regroupe les approches critiques de trois spécialistes : Frédérique Villemur, « Les Métamorphoses silencieuses de René Laubiès », Judith Delfiner, « “Je peins dans la nature et la nature est abstraite” : René Laubiès et la pensée chinoise » et Barbara Montefalcone, « René Laubiès, un solitaire en compagnie ». Ces approches permettent au lecteur d’aborder en profondeur cet artiste peu connu du grand public à travers différentes perspectives qui révèlent la complexité de son travail, de son univers poétique et sa vie personnelle. Ces analyses sont consciencieusement complétées par une vaste sélection panoramique de peintures (allant de ses premières « calligraphies imaginaires » jusqu’aux essais d’effacement de la peinture durant ses dernières années) et d’une chronologie à la fin. L’ouvrage est donc une opportunité singulière pour apprécier les différentes facettes d’un artiste dont l’histoire personnelle se confond avec le mythe et son œuvre plastique elle-même. Un créateur qui vécut dans un certain recul des milieux mondains de l’art, pour se dédier entièrement aux voyages et à l’exploration poétique. Cette révision critique s’étend aussi sur les lectures historicistes et contextuelles qui ont influencé la réception de son œuvre ; elle dégage certaines comparaisons et associations liées à d’autres artistes, qui pour autant ne partageaient pas nécessairement ses mêmes intérêts esthétiques. Ceci permet de construire une évaluation plus équitable, basée sur l’appréciation générale de son évolution en tant que peintre et poète. Son intérêt pour l’Orient, et la Chine en particulier, est abordé par les trois spécialistes avec l’intention de capter le fil doré de ses longues méditations créatives sur les frontières entre art et vie. En particulier par rapport au paysage abstrait, qui fut une constante dans son œuvre, dont il chercha toujours « l’essence », pour arriver à une communication transcendante avec le public. « L’horizon est la patrie de l’homme » dit le Tao Te King, et René Laubiès, en tant que peintre/poète, habita sur cette ligne presque imperceptible entre l’infini et le réel sensible. Ses œuvres en sont un témoignage vif. L’invitation de cet ouvrage n’est pas seulement restreinte à la découverte d’un artiste sui generis et de son travail, mais ouvre aussi des perspectives sur le débat toujours palpitant autour du contraste entre la ressemblance formelle et la ressemblance spirituelle dans l’art. »
Jorge Sanchez, revue Critique d’art
