Nous nous sommes donnés rendez-vous devant chez lui à Nantes pour partir à Saint-Brévin. C’est là-bas que Denis Esnault a son nouvel atelier. Dans la voiture, il me dit que ce serait bien de voir les sculptures du salon, finalement. En moins de deux, je me retrouve devant la version en plâtre de la banane des Velvet Underground, une soupe Campbell en chêne, et des figures sculptées d’après des dessins d’enfants. Il a de grands yeux noirs, il veut aller vite, ne pas perdre de temps. Il a retardé son voyage à Saint-Brévin pour m’y conduire.
En route, j’apprends qu’il transforme en terre cuite toutes les photos qu’il aime depuis l’âge de 17 ans. Denis Esnault est connu pour son travail graphique et éditorial. Il enseigne auprès des Masters du Media Design à l’École de design Nantes Atlantique, où il a fait une Validation des Acquis de l’Expérience. 48 ans, c’est un bon âge pour prendre du recul. Sculpter, maquetter, rajouter des morceaux : c’est une histoire de composition.
Formé à l’école C&M de Blois, il commence à travailler à Paris en 1996 en tant que graphiste pour la société de Production & Design, Le Village, il y réalise entre autres son premier travail graphique : l’affiche du film Seul contre tous de Gaspard Noé… Puis s’oriente vers la presse en 2000 et conçoit les Unes du Vrai Papier Journal – la version papier de l’émission de Karl Zéro. En 2006, avec l’écrivain Arnaud Sagnard, il fonde une revue poétique et artistique inspirée du mouvement Dada : Irreverent. Chaque numéro porte un thème pioché au hasard dans le dictionnaire. Photos, fictions, souvent des textes inédits.
Dans l’atelier flambant neuf, il me montre la masse des objets qu’il vient de sculpter, certains pour l’exposition de la galerie Mira qu’il est en train de préparer. « Je suis solitaire, mais pas seul. Je fais mes petites sculptures » des Kachina hopies modernes, des bidons, des bouteilles qui pourraient venir d’une nature morte de Morandi, en bois, en béton, en cire, en bronze. Tout en autodidacte. Le mobilier aussi, en chêne du Perche. « Je fais cuire mes terres dans le cendrier du poêle Godin, le même que celui de Giacometti ». Sculpter la matière redonne du volume à des objets en deux dimensions. Il me raconte qu’enfant, il allait sur le chantier avec son père plâtrier pour voler de la filasse. L’atelier de Saint-Brévin devient alors une colonie de vacances pour les grands ados des villes et les futurs auteurs d’Irreverent. Une île imaginaire dont Denis Esnault serait le Peter Pan.
Texte par Ilan Michel