Rien, ou presque, ne prédestinait Thibaut Mercier à se passionner pour l’art contemporain : après des études de géographie – aménagement du territoire et un DESS de valorisation du patrimoine & développement local, ce profil atypique file dans le Tarn créer une salle de spectacle, en profite pour remettre à l’honneur le travail des verriers de la Montagne noire, puis poursuit sa route à Saint-Briac-sur-Mer, ville connectée à l’art par son passé, marqué par Auguste Renoir, Emile Bernard ou encore Alexandre Nozal, et surtout par son présent, ponctué par les expositions de Gilles Mahé, Christophe Cuzin, Isabelle Arthuis, Marcel Dinahet ou Yvan Salomone. Après ses différentes missions à l’Agence culturelle de Bretagne, Thibaut Mercier s’est forgé un regard : lorsqu’il arrive à Changé en septembre 2016, chargé du poste de directeur des services culturels, il saute sur une occasion singulière.
La Mairie dispose d’un espace sans affectation définie : ancien lieu de stockage du presbytère voisin, il est situé au bord de la Mayenne et s’ouvre sur un joli jardin de simples de composition symétrique. Autrefois, on entreposait là le corbillard de la commune, à l’époque où le pont enjambant la Mayenne n’existait pas encore, et où les gens transitaient d’une rive à l’autre à l’aide d’un passeur. Baptisé La Loge, en référence aux Loges des écoles du XIXe siècle où les étudiants artistes passaient leur concours, ce lieu va se transformer, sous l’impulsion de Thibaut Mercier, en laboratoire consacré à l’art contemporain.
Très vite, Thibaut Mercier se rapproche de l’école des beaux-arts du Mans, du Pôle Arts visuels et du Frac des Pays de la Loire : pour affirmer l’identité de son outil, qu’il souhaite voir soutenir la jeune création, il mise sur l’expertise de ces premiers partenariats, sans oublier les artistes locaux, qui bénéficient chaque année d’un temps d’exposition au cours du mois de février. Avec le Mans, les liens se tissent : après une exposition inaugurale consacrée à Chloé Bocquet, étudiante en 5e année, et au jeune diplômé Matthias Greenhalgh, La Loge a accueilli des étudiants en 2e et 3e Années, option Espace de la cité, qui ont pris pour sujet d’étude l’environnement naturel proche. En prolongement, un workshop en deux temps s’imagine avec les étudiants en design sonore sur le thème Collecte sonore & paysage, en novembre 2018 puis mars 2019. Sur la base de captations et de rencontres avec les habitants, accompagnés du réalisateur sonore Mehdi Ahoudig, les étudiants conceptualisent une balade urbaine, complétée d’une application de géolocalisation sur smartphone accessible à tous. Dans ce cas précis, La Loge s’apparente à une maison du projet, un lieu d’expérimentation qui permet de montrer certains travaux préparatoires, un espace prônant l’ouverture et pouvant croiser les disciplines, entre les arts visuels, l’urbanisme et l’architecture.
En 2018, la Loge a également abrité une proposition accessible et généreuse : conçue par Vanina Andréani, du Frac des Pays de la Loire, cette exposition a mêlé une série de dessins de Frédéric Mallette, artiste installé à Vitré, qui répondait aux œuvres de la collection du Frac. Pour le futur, Thibaut Mercier souhaite reconduire ce partenariat, tout comme il espère se rapprocher d’Annaïck Besnier, du centre d’art de Pontmain, de Bertrand Godot, du centre d’art Le Carré, ou de Laurent Vignais, qui pilote L’Art au centre à Laval. Changé semble prête à exister sur la carte de l’art contemporain en région : dans cette commune périurbaine à la population plutôt aisée, les 7000 habitants ne travaillent pas forcément à Changé mais viennent profiter d’une nature omniprésente, avec de nombreux chemins de randonnée, un grand plan d’eau et un parc environnemental urbain. L’offre culturelle y est riche : avec une sensibilité vive et transversale, Thibaut Mercier travaille à l’enrichir encore par l’art, en restant connecté à la richesse contextuelle de ce nouveau lieu d’exposition, en projetant d’inviter des artistes qui exploreraient cette manne paysagère, en rêvant d’une commande publique qui viendrait trouver son écrin dans le Parc des Ondines.
Eva Prouteau