→ Matière vive est un parcours expérimental d’accompagnement des artistes professionnel·les ou en voie de professionnalisation, en Pays de la Loire, sur-mesure, par étapes et à la carte, dans une dimension collective et individuelle s’appuyant sur un programme de compagnonnage pensé avec les professionnel·les de la région.
→ Porté par le Pôle arts visuels Pays de la Loire, Matière vive est soutenu par la Fondation de France et la Région Pays de la Loire et s’adresse aux artistes en activité dans le champ des arts visuels et domicilié·es en Pays de la Loire.
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Chaque mois, le Pôle arts visuels Pays de la Loire met en lumière les lauréat·es sélectionné·es dans le cadre du dispositif Matière vive.
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Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Brigitte Guillet. Je suis artiste textile depuis toujours. Ma mère étant couturière de quartier, le fil et la matière m’ont toujours accompagnée, guidée, portée. Je crée des fresques tissées main avec une expertise particulière, celle du tissage ratière. Je crée également des sculptures de fils, de cuir et d’argile.
Je n’ai d’attache qu’avec des lieux de cœur où j’ai aimé vivre : le Trièves dans le Vercors, Paris dans le 12ème arrondissement et maintenant les bords de la Mayenne. Depuis 13 ans, je vis à Château-Gontier. J’ai installé mon atelier de création chez moi, avec mon métier à tisser technique : 24 cadres, double ensouples et piloté par ordinateur. Peu à peu j’ai commencé à y définir un espace pour le travail de la terre et du plâtre. J’ai inventé en ce lieu ma nouvelle façon de créer.
La Mayenne est un territoire paisible et ressourçant. J’y ai construit tout un réseau autour des arts vivants, du chant et des arts plastiques. C’est également sur ce territoire, à Daon, qu’avec une ancienne amie de l’ENSCI/ANAT, nous avons co-fondé l’Atelier du Haut Anjou. Ce dernier a pour objectif la transmission des savoir-faire textiles principalement auprès des artistes professionnel·les. Depuis 12 ans, l’équipe et le lieu se sont développé·es au gré des résidences d’artistes. Et j’y ai récemment organisé des ateliers textiles ouverts au grand public.
En tant qu’artiste, peux-tu présenter ton parcours professionnel ?
J’ai toujours été curieuse et inlassable d’expérimentations. Mon parcours est à la croisée des chemins entre création et design, artisanat d’art et art contemporain.
C’est ainsi qu’en 1977, je suis partie de Paris avec mon Brevet Technique de couture « mesure et création » en poche afin d’effectuer une licence d’histoire de l’art à Grenoble. J’avais à cœur de démontrer que l’on peut être manuel·le et développer une connaissance plus théorique.
Puis, à partir de 1980 et pendant plus de 10 ans, j’ai réalisé mon rêve d’adolescente : devenir costumière. En France, en Suisse ou encore en Italie, du Piccolo Teatro di Milano à l’Opéra de chambre de Paris, ma démarche a été́ de sculpter des volumes avec les étoffes et le cuir. Au cœur d’un atelier indépendant genevois, j’ai collaboré avec Ruth Pulgram et Mireille Dessingy. Nous étions complémentaires et solidaires dans nos projets de créations.
En 1990, après l’obtention de mon diplôme à l’ENSCI/ANAT à Paris, je me suis lancée avec enthousiasme en tant que designer textile artiste-autrice. Mes créations s’adressaient autant à l’industrie textile – avant-projets de Matra Automobile – qu’à l’architecture d’intérieur – pour la célèbre Andrée Putman. Ce fut un succès car j’étais l’une des premières à utiliser la CAO – Conception Assistée par Ordinateur. La modernité et l’innovation au cœur de mon travail de designer textile ont été récompensées par trois prix de l’Observeur du Design à la Cité des sciences de la Villette, ainsi que par le prix INDEX du design à Copenhague.
Toutefois, après plusieurs années stimulantes à évoluer au sein des sphères parisiennes, j’ai ressenti le besoin de me reconnecter avec le travail de la matière. Je m’en étais éloignée faute de temps, d’espace, et à partir de 2008 faute de moyens. Ainsi en 2012 je décide de revenir aux sources de ma vie, je quitte Paris et recommence tout en Mayenne.
Parallèlement et tout au long de mon parcours professionnel, je me suis engagée bénévolement pour les arts populaires à Grenoble avec l’ADAEP (Association pour le Développement des Arts et Expressions Populaires), et syndicalement à Paris au SNDT (Syndicat National du Design Textile) puis à l’AFD (Alliance Française du Design) en tant que vice-présidente pendant quelques années.
Comment se construit ta pratique personnelle ?
Ma pratique artistique récente se nourrit des savoir-faire que j’ai acquis au fil des années et s’ouvre sur l’art contemporain. Ma démarche repose sur une ambivalence. D’un côté il y a la légèreté, l’insouciance, la transparence ainsi que la fragilité. Pour les exprimer rien de tel que le tissage – et son mouvement lent et répétitif – qui constitue mon essence créative. Ainsi je tente d’attraper sous forme de fresques tissées « L’impalpable reflet de la lune sur l’eau ». Puis, de l’autre, l’interrogation du sauvage, du brutal, du doute et le questionnement suivant : comment renouer et partager avec le vivant ? À mes yeux la sculpture est le moyen d’incarner cette interrogation par un geste vif, en faisant apparaître sporadiquement des fragments de corps et de visages.
Plus récemment ma production textile se matérialise également au travers d’installations in situ. J’y raconte mon chemin de vie au sein de l’industrie textile avec des éléments récoltés au fil des années : fils issus du luxe, échantillons tissés en soie, matériaux issus des manufactures, tubes de verre utilisés par les soyeux, les passementiers, les rubaniers pour guider le fil. Cet upcycling enrichit ma gamme de matériaux naturels favoris : le végétal, la soie mais aussi le cuir, la terre cuite, et surtout les fibres de lin. Leur odeur me ramène à la terre, au vivant et à l’environnement, des éléments que j’utilise dans mes sculptures moulées.
La matière est toujours le point de départ de mes créations. C’est elle qui m’impose ses règles. J’aime prendre le temps de l’écouter, d’expérimenter de faire et refaire pour maîtriser les savoir-faire. Tout au long de mon parcours, j’ai beaucoup appris en observant le travail des artisan·es croisé·es sur mon chemin. Mais ensuite j’aime faire les choses seule car je suis instinctive et bien souvent mes mains savent déjà alors que les mots ne sont pas encore là.
Peux-tu nous parler d’une résidence marquante / d’une exposition passée ?
En 2024 en Mayenne, j’ai participé à une exposition collective en plein air dans le village médiéval de Saint Pierre sur Erve. A cette occasion, ma sculpture textile – intitulée « Le monde à l’envers » – a été mise à rude épreuve à cause des intempéries. J’ai alors beaucoup appris sur la résistance des matériaux.
La même année, j’ai réalisé une exposition personnelle au château des Arcis dans une magnifique orangerie. « Rêverie champêtre » était ma première rétrospective. J’y ai fait se côtoyer des pièces plus ou moins récentes. La plus ancienne, en cuir martelé, a vu le jour en 1987, tandis que certaines installations ont été réalisées spécifiquement pour l’occasion. Les faire se côtoyer fut révélateur, tout faisait sens et écho. Bien que très instinctive, j’ai réalisé que j’avais gardé le même fil conducteur depuis mes débuts.
Ces deux expositions ont marqué un véritable tournant dans la façon de concevoir mon travail. Bien qu’elles aient été produites sans moyen, ni aide logistique, ni visibilité, ce fut l’occasion pour moi d’exposer dans des lieux inspirants et de prendre des photographies de mon travail en vue de la création de mon nouveau portfolio. En effet, les premiers mois passés au sein du dispositif Matière vive m’avaient sensibilisée à l’importance de la qualité des visuels pour bien communiquer.
Comment as-tu connu le dispositif Matière vive ? Et pourquoi as-tu souhaité être accompagné·e dans le cadre de ce parcours d’accompagnement ?
J’ai connu le dispositif Matière vive par le Pôle arts visuels et Mayenne Culture. Et ce sont notamment deux artistes plasticiennes de mon réseau qui m’ont encouragée à m’inscrire et à me dire que j’étais légitime. Je ne savais pas si c’était vraiment pour moi. J’étais dans une période de grande instabilité et de grand doute. Néanmoins, j’ai finalement pris mon courage à deux mains et aujourd’hui j’ai encore du mal à croire que j’ai été sélectionnée. Cet accompagnement répond parfaitement à mes besoins et attentes. Mon travail en tant que plasticienne était instinctif, il me manquait un dispositif d’accompagnement tel que Matière vive pour prendre le recul et le temps qui étaient nécessaires pour y poser des mots.
Suite à ces premiers mois au sein du parcours d’accompagnement Matière vive, peux-tu nous dire quels ont été les effets sur ton parcours professionnel ? Que retiens-tu des différentes étapes et rencontres du dispositif ?
À la suite de ces premiers mois au sein de Matière vive, les premiers effets se manifestent. Je prends confiance. Désormais je me sens prête à montrer mon portfolio et à poser des mots qui me ressemblent sur mon travail.
L’une des rencontres les plus marquantes fut celle avec Léo Bioret, en janvier dernier lors d’une journée collective entrecoupée de rendez-vous individuels avec des professionnel·les. Il a su me mettre en confiance et m’a permis de trouver les mots justes pour décrire mon travail d’artiste plasticienne et en identifier le fil conducteur. Et de manière fascinante, tout est devenu clair et limpide. Auparavant, je fuyais ces moments de présentation. Je pensais devoir utiliser un vocabulaire standard au sein duquel je ne me reconnaissais pas. Maintenant que j’ai trouvé mes propres mots, je suis enfin à ma place et me sens légitime.
Un autre effet majeur du dispositif repose sur les rencontres avec les professionnel·les de la culture empreint·es de bienveillance et prêt·es à nous ouvrir leur porte grâce au véritable sésame qu’est Matière vive. Jusqu’ici je me suis consacrée à la construction de mon portfolio et ai peu usé de cette opportunité. Toutefois, dans le cadre d’une demande d’AIA – Allocation d’installation d’atelier et Achat de matériel, j’ai été reçue par Sandrine Moreau, conseillère arts visuels à la DRAC – Direction Régionale des Affaire Culturelles. Un moment révélateur qui contribue à développer mon sentiment de légitimité, mais aussi à poursuivre et développer mon travail d’artiste plasticienne. C’est la première fois que je vis une telle expérience, merci Matière vive.
Comment le travail en groupe nourrit-il ton parcours d’accompagnement ?
Dans ce collectif de quinze artistes que regroupe le dispositif Matière vive, il y a beaucoup de bienveillance et de partage, c’est à la fois enrichissant et stimulant. De plus petits groupes se sont naturellement formés, c’est le cas pour moi et Jingqi. Nous sommes les plus éloigné·es géographiquement du reste du groupe. Ainsi nos trajets en train nous ont rapproché·es. C’est ainsi que cet été nous avons décidé de répondre en duo à un appel à projet d’état pour la création d’une sculpture en Layon Aubance. Nous sommes allé·es sur place faire un repérage photographique et avons rédigé un projet, réalisé des maquettes virtuelles. Pour le montage du dossier, nous avons été accompagné·es par l’artiste plasticien David Michael Clarke, à la fois mon voisin et l’enseignant de Jingqi lorsqu’il étudiait à l’École Supérieure d’Art et de Design TALM – Le Mans. Et bien que notre dossier n’ait pas été retenu, ce fut une aventure incroyable, pleine d’enthousiasme et d’énergie. Grâce aux compétences de Jingqi, j’ai découvert de nombreux outils numériques qui m’ont aidé à débloquer ma relation avec l’écrit et à faire tomber la barrière de la langue.
As-tu quelques actualités à nous partager ?
Pour commencer, cette année je réalise un projet que je porte en moi depuis longtemps : créer un projet artistique textile avec des enfants de maternelle. Ce projet prend place dans le cadre d’un partenariat avec une école maternelle de la commune de Saint Fort et Le Carré, Scène nationale, Centre d’art contemporain d’intérêt national situé à Château-Gontier.
Par ailleurs, je viens de déposer mon premier dossier de candidature dans le cadre d’un appel à résidence. Je suis donc en attente des résultats.
En ce qui concerne les prochains rendez-vous :
→ Du 6 mars au 6 mai, deux de mes pièces sont exposées à la Galerie Éphémère au Mans. La galerie se situe dans le Vieux Mans, un quartier médiéval magnifique. J’y présente mon diptyque tissé main « Reflet de Lune » au côté de céramistes comme Sophie Maslowski avec ses grès en terre noire. Cet ensemble fait écho à ma démarche artistique sur l’ambivalence du léger et du sauvage.
→ Les 6 et 7 avril, comme chaque année depuis trois ans, j’ouvrirai mon atelier à toutes et tous lors des Journées Européennes des Métiers d’Art.
→ Enfin, d’autres projets sont en cours pour cet été, … à suivre !
Matière vive est soutenu par la Fondation de France et la Région Pays de la Loire