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Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson

22.04.2025

Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Portrait Luce Terrasson - Crédit : Clément Leveau

→ Matière vive est un parcours expérimental d’accompagnement des artistes professionnel·les ou en voie de professionnalisation, en Pays de la Loire, sur-mesure, par étapes et à la carte, dans une dimension collective et individuelle s’appuyant sur un programme de compagnonnage pensé avec les professionnel·les de la région.
→ Porté par le Pôle arts visuels Pays de la Loire, Matière vive est soutenu par la Fondation de France et la Région Pays de la Loire et s’adresse aux artistes en activité dans le champ des arts visuels et domicilié·es en Pays de la Loire.

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Chaque mois, le Pôle arts visuels Pays de la Loire met en lumière les lauréat·es sélectionné·es dans le cadre du dispositif Matière vive.

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Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Luce Terrasson, j’ai grandi dans la campagne normande, mes parents étaient alors apiculteur·ices. J’ai suivi un cursus orienté design textile à Lille après avoir passé un bac arts appliqués à Rouen. Ce parcours fut entrecoupé d’une parenthèse « concept de marque » à Amsterdam et de quelques stages à Bruxelles.

Après mes études, j’ai exercé dans le transport en tant que designer couleur et matière en région parisienne. En 2017, j’ai quitté mon poste, puis j’ai été appelée pour enseigner en DSAA – Diplôme Supérieur en Arts Appliqués à l’ÉSAAT – École Supérieure Arts Appliqués Textile Roubaix et également à Condé Paris en outil numérique.
Le Covid m’a fait quitter Paris pour m’installer aux Sables-d’Olonne. Je n’avais aucune attache dans la région, à l’exception du collectif CELA qui est en partie basé à Nantes. Par ailleurs, puisque mes activités professionnelles me font évoluer partout en France, il est parfois difficile de consacrer de l’énergie à construire un réseau ici. Les Sables-d’Olonne représentent un espace « bulle » pour couper et recharger avant de repartir.

Aujourd’hui, à côté de ma pratique, je travaille au décor dans le cinéma, en tant que scénographe pour le spectacle vivant avec la compagnie 1.5. Enfin, depuis ma sortie d’études, j’ai conservé une pratique de création en parallèle de mon travail, seule et avec un collectif de curieux·ses de la culture, puis avec le collectif CELA.

En tant qu’artiste, peux-tu présenter ton parcours professionnel ?

Je n’ai jamais projeté de devenir artiste. Dans un premier temps je me suis orientée vers le design pour son aspect « appliqué » et donc rassurant. De plus, j’aime résoudre des problèmes, collaborer, avoir une diversité de points de vue à considérer (forme, couleur, matière, usage, technique de production, enjeux sociétaux) et le design me semblait répondre à tout cela. Néanmoins, j’ai vite compris que mes moteurs créatifs étaient ailleurs. Mes études m’ont apporté un bagage technique et théorique, une façon de penser. Le passage d’une VAE – Validation des Acquis de l’Expérience en Design Public à la Faculté des Arts de Strasbourg m’a permis d’ancrer mes choix et de formuler un engagement.

La création a cessé d’être un temps « pour moi » lorsque j’ai rejoint le collectif CELA. À mon arrivée les projets étaient tournés vers la musique, avant de glisser vers le champ des arts visuels, notamment avec Stereolux et 9e Concept qui nous ont fait confiance à plusieurs reprises. Nous avons toutes et tous appris énormément de choses, à la fois au contact les un·es des autres et aussi ensemble, de manière plus empirique. C’est ainsi que je fonctionne et c’est ce à quoi je tiens. L’empirisme et l’expérience collective sont essentiels pour moi. Je pense que nous avons toutes et tous beaucoup de choses à gagner, à apprendre en s’écoutant les un·es les autres.
Si le collectif m’a permis de me construire, au bout de 7 ans j’ai finalement ressenti le besoin de me recentrer, d’exister seule. Pour cela j’ai fait face à certaines difficultés : trouver du temps, approfondir mes pièces, suivre mes propres questionnements, me confronter à moi-même.

Comment se construit ta pratique personnelle ?

Je lis et j’observe. J’aime me tenir un peu à distance. J’écris et note beaucoup de chose, mes notes se mélangent, et je finis systématiquement par les perdre… mais j’y tiens. Mes changements d’activités m’obligent à prendre du recul. J’ai besoin de laisser reposer longtemps, de voir si ce que je crée continue de m’habiter ou pas, pour cela je dois changer de regard.

Je fais beaucoup de choses de façon instinctive, en brouillon, à la pelle. Ensuite, je reviens dessus plusieurs fois, je les relie à d’autres pièces, d’autres textes. Je me lance souvent dans des pratiques que je ne maîtrise pas : ne pas tout à fait savoir où je vais m’aide à rester ouverte, sans attentes trop figées. C’est une façon pour moi de laisser les pièces s’incarner par elles-mêmes. C’est ma manière de pratiquer ce que Anna-Lowenhaupt Tsing nomme « l’art d’observer » et ce que Baptiste Morizot appelle le « pistage sensible ».
Quand un résultat m’interpelle, j’essaye d’identifier ce qui fait sa singularité (ce qui n’est pas toujours évident), puis je creuse cette piste, je modifie des paramètres techniques, je décale le travail dans une direction qui me convient.
J’aime formuler des hypothèses parfois absurdes, à l’instar du Collège de Pataphysique, pour traiter de mes propres interrogations. Ces « élucubrations » donnent lieu à des errances qui m’aident à créer des formes plastiques, chimériques, mais qui cultivent une pensée « à côté » en parallèle du savoir qui fait autorité et s‘apparente ainsi à une forme de pouvoir que je fuis.
Je travaille souvent en série, je change de médium, j’extrais, je détourne, je recommence, j’oublie, je reviens dessus. J’essaye de cultiver le trouble, le doute, l’incertitude, autant dans mes pièces que dans mon esprit.

Aujourd’hui, avec Matière vive, je peux échanger autour de ma pratique, ce qui l’enrichit et fait évoluer ma méthode. C’est un soutien que je n’avais pas auparavant, à part au sein du collectif CELA.

Peux-tu nous parler d’une résidence marquante / d’une exposition passée ?

Grâce au compagnonnage, j’ai exposé à la galerie du Rayon Vert cette année. J’avais déjà exposé mon travail en exposition collective et en festival, mais cette fois-ci, c’était différent. En effet, pour la première fois je ne me suis pas cachée – ce que j’ai toujours fait avant en me dérobant dans les toilettes lors des présentations à la presse, en me rendant indisponible pour les vernissages, et en esquivant l’exposition… Cette fois, j’ai pu échanger sur mon travail avec France Dumoulin, avec le public, et d’autres artistes et professionnel·les du milieu. C’était une grande première pour moi, et c’était super. En outre, cela m’a poussée à aboutir des pièces, ce qui peut être difficile pour moi sans échéance.

Comment as-tu connu le dispositif Matière vive ? Et pourquoi as-tu souhaité être accompagné·e dans le cadre de ce parcours d’accompagnement ?

J’étais déjà adhérente du Pôle arts visuels via le collectif. Cela me permettait de sortir un peu de l’isolement et de rencontrer d’autres acteur·ices de la filière. Cependant, comme je n’étais pas souvent en Pays de la Loire, je suivais les activités de loin.
Le dispositif Matière vive s’est présenté à une période où je rebattais les cartes dans ma vie. Je ressentais un réel besoin de développer ma pratique en solo. Jusqu’alors mes temps de création étaient presque exclusivement dédiés au collectif ou à d’autres artistes — parce que c’était le meilleur moyen d’être dans l’échange. Toutefois, j’étais isolée dans ma pratique personnelle depuis longtemps. Je ne montrais même pas mon travail à mes ami·es et ne savais plus par quel bout prendre les choses. L’appel à candidature est tombé au bon moment.

Le dispositif d’accompagnement Matière vive s’est présenté comme une rampe de lancement pour donner corps à ce qui s’entassait dans mon atelier. Je ne me serais jamais autorisée à faire ce que j’ai fait toute l’année qui s’est écoulée si je n’avais pas été dans ce dispositif. Avec le soutien de Mélaine, du Pôle arts visuels, des autres lauréat·es et grâce à mon passage par les ateliers du Collectif Bonus – période durant laquelle j’ai rencontré d’autres artistes avec des pratiques diverses – je suis parvenue à débloquer des situations qui me semblaient sans issue.

Suite à ces premiers mois au sein du parcours d’accompagnement Matière vive, peux-tu nous dire quels ont été les effets sur ton parcours professionnel ? Que retiens-tu des différentes étapes et rencontres du dispositif ?

Ces premiers mois au sein de Matière vive ont été libérateurs et m’ont apporté un changement de perspective assez inespéré. Les échanges, que ce soit avec les artistes du groupe ou avec les professionnel·les rencontré·es, m’ont aidée à porter un autre regard sur mon parcours et sur ma pratique.

Dans le cadre du compagnonnage Matière vive, j’ai également bénéficié de la mise à disposition d’un atelier à Bonus durant six mois. Au-delà d’un espace de travail, cette mise en réseau et le contact avec les autres artistes, m’ont aussi permis de trouver une forme d’apaisement par rapport à mon travail. Je n’en attendais sincèrement pas autant.

De plus, grâce au dispositif et sur les conseils de Mélaine, j’ai sollicité des rendez-vous. Les échanges que j’ai pu avoir – bienveillants et toujours pertinents – m’ont à la fois délestée d’un poids et permis d’avancer en confiance en me donnant de l’énergie.

En parallèle, les journées de formation ont été une ressource importante. En effet, il est facile de se sentir noyé·e sous la diversité des tâches inhérentes au métier. Ainsi, divers aspects ont été abordés. Les enseignements et les échanges – en plus d’être très enrichissants – ont également ouvert de nouvelles perspectives, permettant d’envisager les choses autrement mais aussi de se situer ce qui est particulièrement précieux.

Par ailleurs, les journées professionnelles m’ont aussi permis de prendre conscience qu’une pratique menée seul·e ne signifie pas obligatoirement être isolé·e, ce que je n’avais pas imaginé jusqu’ici ou tout du moins pas sous les formes qui se sont présentées via l’accompagnement.

Comment le travail en groupe nourrit-il ton parcours d’accompagnement ?

Dans le groupe nous sommes à des stades d’avancée assez différents. Au début, il était intimidant de se retrouver avec des personnes « bien installées » notamment lorsque, comme moi, on repart un peu à zéro. Finalement, cela permet de se situer sans se sentir jugée, d’accepter d’être en cheminement, ce qui est très positif.
Il y a une grande bienveillance dans le groupe, du soutien et de l’entraide. On échange des références et on partage nos points de vue sur le milieu tout comme on se parle de nos doutes et de nos difficultés. C’est à la fois rassurant et nourrissant. Et c’est d’autant plus précieux pour moi, qui suis issue des pratiques collectives où l’entraide est quasi-constante, de pouvoir ressentir cette énergie-là.

As-tu quelques actualités à nous partager ?

Je suis lauréate de Waall – programmation artistique éphémère et indépendante portée par togaether, la galerie Au Roi (Paris) et l’artiste invité pour cette édition : Fifou. Dans ce cadre, je pars en résidence à Manosque avec d’autres artistes. L’exposition de restitution se déroulera du 5 au 8 juin à la galerie Au Roi.

Ensuite, se tiendra l’exposition des lauréat·es de Matière Vive, commissariée par Sandra Doublet. L’inauguration aura lieu à l’occasion des Assises régionales des arts visuels, organisées par le Pôle arts visuels les 13 et 14 juin prochains. Ce temps fort pour l’association – laquelle suite aux récentes coupes budgétaires opérées par la Région Pays de la Loire se voit contrainte de procéder au licenciement économique de l’ensemble de son équipe salariée – permettra à la fois de célébrer les dix ans de la structure et de poursuivre ensemble la réflexion sur l’avenir de la filière.

Enfin, à la rentrée j’exposerai collectivement au « 100 ans de rencontre photographique » à la mairie du 13ème arrondissement de Paris. L’exposition sera commissariée par Jean-Christophe Béchet.

Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Vue d’atelier, recherche projet Les Limbes, 2024 - Bonus, Nantes – Crédit : Luce Terrasson
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Résidence Stereolux, projet Le chant des sirènes, 2025, Nantes – Crédit : Collectif CELA
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Résidence Stereolux, projet Le chant des sirènes, 2025, Nantes – Crédit : Collectif CELA
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Résolution, Maison pour la photographie - Exposition Young Colors, Lille, 2019 – Crédit : Clément Leveau
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Recherche 100 ans de rencontre photographique, 2025, Paris 13ème – Crédit : Luce Terrasson
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Resolution, 2021 - Stereolux, festival Scopitone – Crédit : David Gallart
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Vue d’atelier, projet Les disgracié·es, 2024 – Crédit : Luce Terrasson
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Vue d’atelier, projet Orogenèse - Bonus, Nantes, 2024 – Crédit : Luce Terrasson
Matière vive – Portrait d’artiste, Luce Terrasson — Pôle Arts Visuels Pays de la Loire
Vue d’atelier, projet Atolls de New Nelson - Bonus, Nantes, 2024 – Crédit : Luce Terrasson

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